Suite à l’arrestation massive de manifestant·e·s ce samedi 8 décembre dans le cadre de la mobilisation des « Gilets Jaunes », la Ligue des Droits Humains estime important de rappeler les principes fondamentaux qui sous-tendent tout Etat démocratique.
Depuis plusieurs semaines, des citoyen·ne·s se mobilisent dans l’espace public en dehors de toute structure organisée, sous l’étendard des « Gilets Jaunes ». Ce samedi 8 décembre, près de la moitié des personnes venues manifester à Bruxelles, la plupart pacifiquement, ont été privées de leur liberté (450 arrestations sur 1000 manifestant·e·s selon les chiffres cités par plusieurs médias).
Ces arrestations massives posent sérieusement question et la LDH souhaite à cet égard rappeler certains principes fondamentaux :
- Le droit de manifester est un droit fondamental, inhérent à toute société démocratique, qui s’applique aux organisations ayant pignon sur rue mais aussi à chaque citoyen·ne ou association, organisé ou non. S’il peut être soumis à une autorisation préalable des autorités communales, il ne faut pas que cette procédure d’autorisation aboutisse à une négation de ce droit, par exemple en imposant des contraintes abusives aux organisateur·rice·s (services d’ordre démesurés pour des manifestant·e·s non structurellement organisé·e·s, engagement préalable des organisateur·rice·s à payer des dégâts provoqués par des tiers, etc.).
- Selon la Cour européenne des droits de l’homme, vu l’importance du droit de manifester qui est liée au droit à la liberté d’expression, les rassemblements pacifiques doivent être tolérés par les pouvoirs publics. Dès lors, même dans des cas où on n’a pas pu demander ou obtenir une autorisation en bonne et due forme, il y a une obligation pour la police et les autorités de tolérer une manifestation, à condition que celle-ci reste pacifique et n’entrave pas les droits d’autrui de manière démesurée.
- La privation de liberté que constitue l’arrestation administrative est une mesure de contrainte grave qui se justifie en dernier recours, lorsque d’autres mesures, moins sévères, ne sont pas suffisantes pour sauvegarder l’intérêt public. Une arrestation administrative peut avoir lieu pour maintenir la tranquillité et l’ordre publics, mais seulement en cas d’absolue nécessité et pour un maximum de 12 heures. Pour que l’arrestation soit légale, il faut qu’il y ait un objectif légitime, qui ne peut être atteint autrement, en n’exerçant qu’une force raisonnable et proportionnée à l’objectif poursuivi en tenant compte des risques.
- La pratique des arrestations administratives préventives est illégale, excepté dans certaines circonstances exceptionnelles. Comme a déjà pu l’établir le tribunal de première instance de Bruxelles dans sa jurisprudence « No Border » du 11 décembre 2014 : « (…) On doit en principe, sauf profil affirmé d’une dangerosité certaine, arrêter les gens pour ce qu’ils font, non pour ce qu’ils sont. (…) »
- Enfin, le recours à la contrainte doit en tout état de cause rester proportionné. Il en résulte qu’il ne peut y avoir de fouilles systématiques de personnes contre lesquelles il n’existe aucun élément à charge, de recours abusif aux menottes/colsons, de fichage et de prise d’empreintes digitales, de recours à la force disproportionné, etc. En cas de recours illégitime à la force, il est indiqué de déposer une plainte devant le Comité P et/ou les autorités judiciaires.
Il va sans dire que ces principes ne valent que dans l’hypothèse d’un rassemblement pacifique et que, partant, l’intervention des forces de l’ordre peut s’avérer nécessaire en cas de violences commises par des manifestant·e·s.
En conclusion, la LDH rappelle que les libertés fondamentales ne sauraient être sacrifiées sur l’autel des contraintes administratives et policières, quelle que soit la couleur du gilet des personnes qui s’expriment dans l’espace public.
12 décembre 2018